Causette et son dossier sur la grosseur !

Alors, je sais, j’ai laissé ce Causette prendre la poussière sur une étagère pendant longtemps en voulant écrire quelque chose sur le dossier « voyage en graisse » du mois de juillet. Peut-être étais-je dans le déni…

J’aime plutôt bien Causette, c’est ma coloc qui le ramène et je trouve que ça change et que ça fait du bien sans être non plus trop prise de tête, ça remplit sa mission de magazine féminin sans être bêtifiant. En tant que féministe convaincue je trouve que c’est une bonne manière d’occuper le terrain, que c’est stratégique, que ça donne une certaine visiblité. Bref, ça fait du bien…

D’ailleurs si vous savez pas quoi dire à votre maman et que vous avez encore moins quel cadeau lui faire à Noël je vous suggère un abonnement à Causette. Elle sera contente, c’est original et aussi ça vous donnera des sujets de conversation.

Mais ce dossier… vraiment, je suis déçue.

Déjà c’est un dossier qui parle de la graisse et pas de la grosseur, qui aborde la question d’une manière plutôt désincarnée. Ça pourrait s’expliquer par l’envie de parler un peu théoriquement de ce qu’est la graisse, quel est cet ennemi qu’on nous impose et qu’il faut combattre mais dont ne sait finalement que peu de choses si ce n’est que sa présence est indésirable.

Le choix iconographique est parlant, on nous montre de la viande, pas des corps, non, la viande qu’on mange (ou pas, d’ailleurs)… Un hamburger dégoulinant, du saindoux, un poulet, du gras, une nana qui se lèche les babines pleines de sucre mais avec des petites joues maigrelettes.  C’est rappeler que la graisse c’est le péché de gloutonnerie et aussi que la graisse qui nous travaille tant que ça, celle qui est sur nos corps, n’est pas montrable. Elle a été d’ailleurs joliment évitée pour le dossier sur les fesses d’un numéro précédent où les photos étaient uniquement des nana minces, pas avec des fesses de mannequins mais minces.

Causette ne prend pas la peine de questionner les mots, on parle d’obésité, de « maladie dangereuse », on dit que la 14.5% de la population est « touchée » (p.44) comme si on parlait d’une grippe. Le gros est malade dire que c’est pas de sa faute est toujours moins pire que de le culpabiliser ceci dit, mais il n’enlève pas le rapport normalisant, une maladie se soigne pour devenir une personne « normale ». On ne remet pas en cause les soit disants effets lourds sur la santé. Même si on reconnait que « la gloutonnerie n’est que la partie visible de l’iceberg. […] Nos prédispositions génétiques, l’environnement social, le mode de vie sont autant de facteurs qui se conjuguent pour faire ou non de nous des obèses, auxquels s’ajoutent les polluants et les perturbateurs endocriniens » (p.43), les remises en cause de la vérité des médecins (ou plutôt de ceux auxquels on laisse la parole et qu’on finance allègrement) sont bien maigres…

Même si l’intro de l’article parle de « pression sociale » (p.42) le sujet n’est pas approfondi. Est-ce vraiment un hasard si les gros souffrent des mêmes maladies que les personnes non-blanches. Ne serait-ce pas plutôt les rappels à l’ordre constants et les réprimandes, remarques, le harcèlement, les insultes, la culpabilité, la honte qui seraient la cause de l’hypertension ou des maladies cardiaques???

Le dossier ne dit pas que quand on est gros on ne peut devenir maigres qu’au prix de tortures physiques et mentales permanentes. Il ne dit pas qu’on ne peut pas faire de son corps ce qu’on veut, on ne peut pas devenir plus petit ou plus grand, on ne peux pas changer la couleur de sa peau… et si c’était pareil pour les gros?

Un seul chercheur dans le cadre d’une autre recherche à séparé ses sujets selon qu’ils suivaient un régime ou non. Ce qui veut dire que les problèmes causés par les régimes peuvent être (et sont) attribués faussement à la grosseur. En fait une étude d’une communauté italo-américaine de classe ouvrière (en Pennsylvanie) a prouvé que, dans un milieu où être gros était la norme la fréquence des crises cardiaques était nettement plus basse que la moyenne américaine des personnes minces. Quand les jeunes de cette communauté sont allés dans d’autres milieux où la grosseur était inacceptable et qu’ils ont essayé de s’intégrer en suivant des régimes, la fréquence des crises cardiaques a rapidement augmenté pour atteindre la moyenne américaine des personnes grosses. Les crises cardiaques, la haute pression, sont des maladies reliées au stress. Les grosses vivent d’énormes tensions, tout le temps, à cause de la haine et du ridicule écrasant auxquels elles doivent faire face tous les jours. Nous soumettons notre organisme à un stress énorme en suivant des diètes à répétition.Ce sont ces tensions, pas la grosseur elle-même qui sont la cause principale des maladies des grosses. «  « Grosses, lesbiennes et fières » Judith Stein et Rea Rae Sears in La grosseur : obsessions? Oppression! 1992

Ensuite nous avons article plutôt court sur le G.R.O.S. le Groupe de Réflexion sur l’ Obésité et le Surpoids.

Mais si l’article rappelle que plus de 95% des régimes se soldent par un échec. Le traitement qui en est fait est bien triste on parle de « conviction » des membres du GROS là où dans l’article précédent le ton était à la vérité scientifique. L’accent est mis sur le traumatisme qui pousse à « trop manger » (p.44), les deux citations de ce qui devait être un entretien portent sur cette question. Encore une fois, si on est gros c’est parce qu’on mange trop et si on mange trop c’est parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas, on est déprimé, ils sont à deux doigts de nous expliquer que c’est lié à la mère mais c’est trop tôt ce sera plus tard. Ça ne donne pas très envie de s’accepter telle qu’on est tout ça.

Article suivant : « Où va ma graisse quand elle s’en va? »

Ça a le mérite d’être une question qui n’est jamais posée. C’est un article sur la graisse des liposuccions. On ne parle pas des opérations et mutilations qui sont imposées aux personnes grosses pour les ramener à la norme : brochage de mâchoires, pontages intestinaux, anneaux gastriques et j’en passe et des meilleures.

Non c’est juste une page entière accordée à des anecdotes peu ragoutantes. Un médecin a utilisé la graisse de ses patientes liposucées pour faire rouler son 4×4 et un artiste aurait réalisé une statue avec la graisse de Sylvio Berlusconi… Ça valait bien une page tiens…

Et puis un article sur les fat admirers :

Article qui commence avec une blague à s’en taper le gras par terre « certains aiment les grosses BMW. D’autres préfèrent les BBW, les Big Beautiful Women »… Ah bah, ça c’est sûr que comparer la passion des hommes pour les engins bien carénés à celle qu’ils ont pour les femmes est une nouveauté. On y aurait pas pensé. Après tout pourquoi les grosses seraient épargnées par les blagues sexistes, si elles veulent être aussi baisables que les minces, il faut qu’elles prennent le pack en entier.

Les fat admirers sont rebaptisés dès les premières lignes « pervers de la chair »(p.46). Notons que la perversion est selon le Larousse un « trouble mental poussant le sujet à des actes considérés comme immoraux ou antisociaux » et encore mieux en psychanalyse « terme (sans connotation morale) désignant le remplacement de l’objet ‘normal’ de la pulsion sexuelle par un autre objet (dans les cas de zoophilie ou de pédophilie par exemple).  » S’il n’y a pas de connotation morale on est sauvées.

Voilà pour ce qui est des définitions, désirer une femme grosse est donc du même ordre que de vouloir baiser un dindon. Tout doux, je vois venir le « mais c’est pas du tout ce que je voulais dire, c’était comme ça, je veux dire, j’ai utilisé le sens courant… c’est comme quand on dit pédé ou enculé ou salope…  » Mouais, bah, on peut déblatérer un an sur la portée des mots, un mot à un sens et c’est pas mal d’éviter de se servir des catégories socialement dominées pour en faire des insultes. Ça coute pas grand chose de se renseigner un peu ou de faire attention, surtout quand on ne veut pas blesser.

Bref, trêve de linguistique, Agnès Giard (hop balancée, la fourbe) continue son article sur un ton passablement méprisant. Il semble complètement absurde « d’idolâtrer » des obèses alors que des millions de gens qui fantasment sur les femmes minces, sur la minceur photoshop, sur des corps ne pouvant même pas exister, ça relève du désir sain, pas de l’idôlatrie.

Là n’est pas le problème, les corps qui n’existent pas valent toujours mieux que ceux qui ne devraient pas exister, qui devraient être renvoyés aux placards de l’histoire. Elle explique sans gêne aucune que pour les fat admirers « la femme idéale est une Vénus paléolithique, une beauté-losange à l’abdomen, aux hanches, aux seins et à la vulve outrageusement développés »(p46). Outrageusement… je vous laisse méditer là dessus, ainsi que sur l’aspect paléolithique du corps des gros. La grosse est-elle plus proche du singe ou de l’espèce humaine on se demande des fois.

Bref, on nous explique à grand renforts d’images censées être dégoutantes que ce qu’aiment les FA ce sont les plis, le gras. On fait aussi parler une spécialiste, Katharine Gates,  dont le livre s’intitule Deviant Desires, (déviant? méditons…), un « ouvrage consacré aux fantasmes délirants » (p.46). Aimer les grosses est donc au mieux une blague, au pire une folie, quoiqu’il en soit un « délire ».

Personne ne se dit que c’est peut-être à cause de ce genre d’article qu’il est si dur d’assumer d’aimer les grosses. Pourtant il y avait un indice « A en croire l’association nationale pour l’acceptation des obèses (NAAFA), 10 à 15% des Américains préfèreraient avoir une épouse ou une petite copine bien enrobée, mais se sentiraient très embarrassés d’être vue en sa compagnie ». Mais pourquoi se remettre en question quand on se fait porte voix des dominants avec la bonne conscience des gens sains ?

Les références à la déesse mère font légion… Si les grosses sont grosses c’est parce qu’elles mangent de la graisse saturée agro-alimentaire pétro-chimique à la petite cuillère, mais… elles sont aussi la mère nature, gaïa, la déesse mère… Petit paradoxe mais si encore il n’y avait que ça.  « Il se peut que le sexe avec les obèses rappelle des souvenirs très anciens : les bébés têtent des seins qui proportionnellement, font la taille de collines nourricières. »(p.47) La maman, la voilà enfin, c’est freudien tout ça. Je vous avais bien dit que les gens qui supportent leur gras ou celui des autres ont un problème psychanalytique.

Les exemples choisis pour représenter les fantasmes sont caricaturaux, on parle d’hommes perdus et enveloppés dans les plis de leur partenaire (je ne parlerais même pas du présupposé de l’évidence de  l’hétérosexualité). On parle de vidéo X dans lesquelles des femmes suivent des régimes grossissant. Mais on en parle pas n’importe comment, il est impensable de vouloir être grosse, de se préférer ainsi: « certaines vidéos s’intitulent d’ailleurs ‘growing’ et montrent des femmes suivre un régime grossissant avec une bonne humeur quasi insupportable à voir ». L’insupportable bonne humeur? encore un sujet à moult réflexions.

Où sont juste les hommes qui trouvent ça joli et agréable à toucher, qui n’aiment pas les sacs d’os. Est-ce que je dois vraiment tourner un film où je ferai faire à mes seins deux fois le tour de la tête de mon amoureux, tout en mangeant de la chantilly à même la bombe et agitant la graisse sous les bras pour qu’elle tremble? Est-ce que je dois vraiment faire tout ça pour satisfaire sa perversion? Est-ce que c’est si absurde de se dire que juste il m’aime et qu’il me trouve jolie?

Je dois vraiment avoir ce problème psychologique des grosses. Me croire acceptable…

Un vague espoir vite déçu avec la conclusion: « Pourquoi ne gardent-ils pas le contrôle [les obèses]? s’offusque-t-on. Comme s’il fallait en matière de désir, toujours tout garder sous contrôle. […]Les obèses sont ‘obscènes’ disent [les FA], car elles affichent spectaculairement leurs formes et surtout leurs envies. Pour eux, les obèses ne pas des êtres souffrant de diabète, d’hypertension, de cholestérol ou d’inflammations articulaires, ce sont des héros du désordre et de l’anarchie sexuelle. Des monstres sacrés sacrifiés sur l’autel du moralement correct. » (p.47) Elle parle d’elle même et enfin, le mot est lâché : « monstre », « sacré » certes mais monstre quand même…

Notons que ces grosses femmes qu’aiment les FA dans l’article sont appelées 14 fois des « obèses », 2 fois des « grosses », et 3 fois des « femmes ». Où sont donc les Big Beautiful Women qui font rêver les FA? Elles ont disparu sous le mépris de l’auteure et de la spécialiste en déviance, elles ne sont plus des femmes, elles sont malades…

Me voilà écoeurée de tant de schématisme et de bien pensence. Les grosses sont malades, pour les désirer il faut être malade aussi, pervers même. La norme n’a pas besoin d’être amenée sur le tapis puisqu’on parle de personnes malades.

J’ai envie de parler de Self Acceptance, d’aimer nos corps tels qu’ils sont, des filles qui se battent chaque jour pour garder un peu d’estime de soi, j’ai envie de parler des multitudes de supports qui se développent pour parler de la grosseur et en faire une fierté ou au moins quelque chose qui ne soit pas méprisable et méprisé, j’ai envie de parler des gens qui luttent contre la discrimination des gros au travail, contre les préjugés, contre les augmentations de primes d’assurances aux USA. J’ai envie de parler de meufs qui s’assument.

Y’a eu un numéro de BIBA sur la grosseur y’a un an ou deux, qui étai mieux foutu que ça, merde… qui donnait plus envie de s’aimer un peu, qui disait qu’on pouvait être grosse et désirable, même si dans ce genre de magazine c’est l’unique but du corps féminin, attirer le désir. Mais même si c’est réducteur ça disait qu’on peut s’aimer et être aimée. Pas qu’on est un objet de science à disséquer pour pouvoir le soigner, et qui doit se cacher en attendant.

Je suis grosse, je n’ai pas de problème de santé, si ce n’est un problème de peau récurrent et … lié au stress.

Foutez nous la paix. Ne parlez pas de nous, si c’est pour parler à notre place, décider de ce qu’on peut faire ou non, de ce qu’on peut montrer ou non, de ce que les autres peuvent ressentir à notre vue. Ne parlez pas de nous, si ce n’est pas pour même essayer de nous faire du bien. C’est assez dur comme ça de continuer à s’estimer un tant soit peu quand tout n’est que rappel à l’ordre. Votre ordre on n’en veut pas, surtout pas venant d’un magazine qui se dit féministe qui plaide pour que les femmes soit considérées à leur propre valeur. Toutes les femmes, j’étais pas sûre d’y croire, maintenant permettez moi d’en douter.

Oui, je me sens comme cette image qui illustre ce dernier article, comme de la viande, nue, dégueu, écartelée, les entrailles à l’air.

Je pensais qu’être féministe ça voulait aussi dire ne pas donner aux femmes une image dégradante d’elles mêmes.

.L.

4 réflexions sur “Causette et son dossier sur la grosseur !

  1. Et bien… J’ai découvert Causette il y a peu, j’étais agréablement surprise, j’aime bien le concept.. Mais j’avoue que devant cet article, je suis…. désappointée… Il est joli, TON article, tes réparties sont si justes, j’aime beaucoup… Clouée le bec la Causette…

  2. Bonjour,
    Je viens de vous lire par un rebond de facebook. Je tiens a vous dire que j’apprécie vraiment votre article, même si je ne peux juger de votre « lecture » car je n’ai pas lu le numéro. Ce que vous dites est juste, sensible, intelligent. Malheureusement, le sexisme n’est pas l’apanage des hommes. A croire qu’il faut redire encore et auprès de tous que la femme est un individu humain de sexe féminin et le reste ne concerne que l’individu lui même. La tyrannie du maigre, les corps exsangues portés aux nues me rendent mal à l’aise. C’est un message de mort que je reçoit. Une belle femme, une femme à laquelle on reconnait une place dans la société est une femme que l’on reconnait par son physique et ce physique disparaît dans la maigreur, glisse vers la mort, ou bien, il est une représentation imaginaire. Alors, aucune de nous se reconnait dans ces images glacées et certaines d’entre nous qui courent après le peut de reconnaissance que l’on veut bien leur jeter comme un steak a un chien, se torturent pour avoir droit a son petit bout de regard. Mais ce regard nous regarde t il ? Je m’enflamme et je ne suis pas certaine d’être très lisible. 😉
    Je ne suis pas grosse, je suis normale, je crois, mais souvent, je me sens grosse et c’est inévitablement liée a un dégoût de moi. Quand j’avais 20 ans, je prenais des cours de théâtre. J’étais un peu ronde à l’époque. Plus qu’aujourd’hui. Je me sentais belle désirable, voire irrésistible. Je n’avais absolument aucun problème de séduction, et les hommes n’avaient pas honte de se promener à mon bras. Puis un jour mon prof me dit, devant toute la classe que je suis grosse. A cet instant là, j’ai pris 30 kilos que je n’ai jamais reperdu, même quand j’ai versé dans l’anorexie.
    Je te rejoint encore une fois, quand tu demandes qu’on nous foute la paix. Foutez-la paix aux femmes, qui que vous soyez, foutez-nous la paix. Laissez nous nous occuper de nous comme bon nous semble.

    Merci pour votre article et veuillez me pardonner de vous avoir infliger un commentaire interminable.

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